Affiche Cubaine : Quand l’Art Graphique Raconte l’Histoire de l’Île

Affiche Cubaine : Quand l’Art Graphique Raconte l’Histoire de l’Île #

Naissance et essor de l’art de l’affiche à Cuba #

Le développement de l’affiche à Cuba remonte à la seconde moitié du XIXe siècle, alors que l’île s’affirme comme puissance exportatrice de sucre et de tabac. Très tôt, les fabricants de cigares et de rhum investissent dans des emballages illustrés, affichant leur savoir-faire local tout en répondant aux goûts esthétiques internationaux. La lithographie est introduite à La Havane dès 1829, marquant un tournant majeur dans la diffusion visuelle. Les emballages de produits tels que ceux de la marque « Partagás » ou les étiquettes de rhum « Havana Club » témoignent de la capacité cubaine à marier motifs traditionnels et tendances graphiques venues d’Europe.

À partir du début du XXe siècle, le graphisme publicitaire cubain s’imprègne de l’Art Nouveau puis de l’influence américaine, visible jusque dans les années 1950. Les grandes avenues de La Havane se couvrent d’affiches vantant la modernité des produits d’exportation. La diversité des styles utilisés révèle déjà une propension à l’expérimentation graphique et à l’adaptation des courants étrangers à la réalité caribéenne. C’est à travers ce prisme que l’affiche s’impose comme un médium privilégié du dialogue entre Cuba et le monde.

  • Lithographies d’emballages de cigares « La Corona » dès 1871
  • Affiches commerciales pour le rhum Bacardi dans les années 1920
  • Émergence de la publicité touristique dès 1930 promouvant Varadero

L’impact de la Révolution : l’affiche comme instrument de communication #

La Révolution de 1959 marque une rupture décisive. Le 1er janvier 1959, Fidel Castro et ses partisans prennent le pouvoir et mettent fin à l’ère du graphisme publicitaire inspiré des États-Unis. Dès 1961, sous l’impulsion de Che Guevara, toute publicité commerciale est interdite, redéfinissant le rôle de l’affiche à Cuba. Ce média devient alors un outil central de la propagande politique, au service de la mobilisation populaire, de l’éducation idéologique et de la commémoration des événements révolutionnaires.

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La création d’organismes dédiés, comme l’ICAIC (Instituto Cubano del Arte e Industria Cinematográficos) en 1959, propulse les artistes au cœur du projet révolutionnaire. Les affiches de cette époque privilégient l’illustration stylisée, l’usage de symboles forts (le Che, la palme, l’étoile), ainsi que des palettes de couleurs tranchées. Elles s’inspirent de la culture populaire et cherchent à atteindre la population dans son ensemble via l’espace public.

  • Affiche « Viva la Revolución » de 1960, signée René Mederos
  • Séries militantes dénonçant la guerre du Vietnam réalisées par Alfredo Rostgaard
  • Affiches commémoratives du débarquement de la baie des Cochons en 1961

Sérigraphie : la technique qui a façonné l’affiche cubaine #

La sérigraphie s’impose à Cuba dès les années 1940, marquant durablement l’esthétique de l’affiche nationale. Cette technique d’impression artisanale, accessible et adaptée à la reproduction en série, permet aux artistes de jouer avec les couleurs saturées et les aplats contrastés. Les ateliers, comme celui de l’ICAIC ou l’OSPAAAL (Organisation de Solidarité avec les Peuples d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine), deviennent des véritables laboratoires d’expérimentation, où chaque affichiste développe un style personnel.

Le choix d’une palette chromatique vive, l’exploitation de la typographie expressive et la recherche constante de nouveaux effets graphiques font de la sérigraphie un vecteur de modernité et de poésie visuelle. Ce procédé valorise le geste manuel, offre une qualité tactile unique, et permet de répondre à la demande institutionnelle croissante. Plusieurs générations de graphistes, à l’image de Eduardo Muñoz Bachs ou de Félix Beltrán, ont forgé leur réputation à travers la maîtrise de ce medium.

  • Affiche du film « Muerte de un burócrata » (1966) – Eduardo Muñoz Bachs
  • Affiches OSPAAAL appelant à la solidarité internationale, imprimées en sérigraphie dès 1966
  • Expérimentation de textures par Raúl Martínez dans les années 1970

Affiches culturelles : musique, cinéma et festivals en vitrine #

Si la politique domine la production affichiste des années 1960-1970, l’affiche culturelle devient l’un des symboles de la vitalité du graphisme cubain. L’ICAIC commande dès 1959 de nombreuses affiches pour ses sorties cinématographiques, confiant à des artistes une totale liberté de style. L’affiche pour « La Mort d’un bureaucrate » (1966), signée Muñoz Bachs, ou celle de « Lucía » (1968), par Antonio Fernández Reboiro, traduisent la diversité des approches graphiques et la capacité à transcender les normes occidentales du design.

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La scène musicale n’est pas en reste : l’essor de la salsa et le développement de festivals internationaux à La Havane stimulent une vague de créations originales, audacieuses et colorées. Les studios comme « Editora Nacional de Música de Cuba » jouent alors un rôle clé dans la diffusion de l’image culturelle cubaine à l’étranger. Quelques exemples marquants illustrent cette dynamique :

  • Affiche du Festival International de Jazz de La Havane éditée chaque année par des artistes différents
  • Visuels de concerts de Los Van Van, groupe mythique, mêlant imagerie populaire et graphisme contemporain
  • Affiches de films comme « Fresa y Chocolate » (1993), synthèse du renouveau graphique post-soviétique

Symboles, codes visuels et identité graphique cubaine #

L’iconographie de l’affiche cubaine compose un véritable alphabet visuel qui se renouvelle sans cesse. L’utilisation récurrente de l’image de Che Guevara, le motif de la canne à sucre, symbole agricole et révolutionnaire, mais aussi l’omniprésence des couleurs patriotiques (rouge, bleu, blanc, vert), signent l’appartenance à un imaginaire partagé. La typographie, souvent inventée pour chaque projet, contribue à la construction d’une identité visuelle forte et singulière.

Le recours à l’allégorie et à la satire, la multiplication de références à la culture populaire ou à l’histoire internationale, structurent un langage graphique immédiatement reconnaissable. Les affichistes cubains n’hésitent pas à détourner les codes occidentaux ou à subvertir les standards du design, affirmant ainsi une originalité et une fierté nationale assumées.

  • Portrait stylisé du Che par Jim Fitzpatrick adapté à la propagande cubaine
  • Motifs de machettes, oiseaux tropicaux ou figures féminines dans les affiches agricoles et sociales
  • Usage délibéré de la main levée, symbole de solidarité et de lutte

Affiches cubaines aujourd’hui : entre patrimoine et renouveau #

L’héritage de l’affiche cubaine bénéficie d’une reconnaissance internationale croissante, porté par le travail de musées, d’institutions telles que le Musée national des Beaux-Arts de La Havane, et de la Galería Taller Gorría qui expose régulièrement des affichistes contemporains. Des collections privées, comme celle du don de Gisèle Michelin au Musée des Arts décoratifs de Paris, contribuent à la préservation et à la diffusion d’un patrimoine graphique riche et complexe.

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La jeune génération de graphistes cubains, en prise avec les nouveaux outils numériques et confrontée à l’ouverture progressive du pays, revisite ce langage iconique tout en renouvelant les formes et les supports. Ils s’approprient les codes historiques tout en les confrontant à la mondialisation et aux réseaux sociaux, créant de nouvelles perspectives pour l’affiche cubaine.

  • Expositions récentes à La Havane autour des affiches de la Biennale d’Art contemporain
  • Initiatives comme le projet « CartelON », plateforme numérique dédiée à l’affiche cubaine contemporaine
  • Collaborations entre graphistes cubains et marques internationales dès 2023, comme avec Havana Club et Absolut

Ce patrimoine, reconnu tant par les institutions que par les collectionneurs privés, demeure vivant grâce à une création qui ne cesse de se réinventer. La capacité d’innovation alliée à la défense d’une mémoire visuelle collective nous semble constituer la grande force de l’affiche cubaine, qui continue de surprendre et d’inspirer bien au-delà de l’île.

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